« Le Gardien la passe à la peau de chamois, amoureusement. Cela au moins n’a pas changé, la manière dont les hommes caressent les belles voitures.
Il porte l’uniforme des Gardiens mais sa casquette est basculée de façon coquine, et il a les manches roulées jusqu’au coude, découvrant ses avant-bras bronzés, mais ponctués de poils noirs. Une cigarette est collée au coin de sa bouche, ce qui montre que lui aussi possède quelque chose qu’il peut échanger au marché noir.
Je sais le nom de cet homme : Nick. Je le sais parce que j’ai entendu Rita et Cora parler de lui, et une fois j’ai entendu le Commandant s’adresser à lui : “Nick, je n’aurais pas besoin de la voiture.”
Il vit ici, dans la maison, au-dessus du garage. Statut inférieur : on ne lui a pas attribué de femme, pas même une. Il ne compte pas : quelques défauts, manque de relations. Mais il se comporte comme s’il ne savait pas ni ne s’en souciait. Il est trop désinvolte, il n’est pas assez servile. C’est peut-être par bêtise, mais je ne le crois pas. Ça sent la magouille, disait-on ; ou ça sent le roussi. L’inadaptation assimilée à une odeur. Malgré moi, je me demande ce qu’il peut bien sentir. Ni la magouille, ni le roussi : peau tannée, moite au soleil, enduite de fumée. »